woman and man holding hands near grey wall

« Histoires » de couples réunissant un-e conjoint-e valide et un-une conjoint-e concerné par un handicap sensoriel

Cet article a été écrit dans le cadre de l’étude universitaire SELODY qui s’applique à étudier les effets sur le couple lorsqu’un des partenaires est atteint d’une déficience visuelle et éventuellement auditive. L’hypothèse étant que la maladie ou l’invalidité d’un partenaire dans un couple affecte toujours les deux personnes. Tous deux doivent faire face à des difficultés, mais ils peuvent aussi se soutenir et se renforcer mutuellement.

LES IMPACTS PSYCHOLOGIQUES LIES A UN HANDICAP SENSORIEL
Avant de développer plus avant les aspects psychologiques à prendre en compte dans la dynamique de couples dont l’un des conjoints est concerné par un handicap, il convient de sensibiliser le lecteur aux impacts psychologiques que l’individu directement concerné est susceptible de rencontrer dans son quotidien.

Un effort constant d’adaptation:
Vivre avec un handicap sensoriel implique un effort constant d’adaptation. Cela concerne autant la question de l’accès à l’information sur un plan général que la question de la communication avec autrui ou la mobilité dans l’espace. Hors, s’adapter implique un certain coût énergétique pour l’individu; ce dernier se manifestant le plus souvent par de la fatigue ou du stress. Ainsi, la personne est souvent confrontée à ses propres limites et est donc souvent invitée à devoir trouver des solutions qui lui sont propres.

L’effet de surcharge sensorielle:
Notre environnement et notre mode de vie actuel implique pour tout un chacun d’importantes sollicitations sur le plan perceptif. Nous sommes potentiellement assaillis par de nombreux flux d’informations divers (auditifs, visuels). Or, la plupart des informations que nous recevons sont finalement peux utiles ou engendrent un « bruit » perturbateur. L’information pertinente est ainsi souvent perdue au milieu d’une forêt d’éléments parasites. Ainsi, pour une personnes avec un handicap sensoriel l’effort de recherche et d’extraction de l’information pertinente est plus coûteuse en temps et énergie que pour tout un chacun. De plus, cette surcharge de stimuli est susceptible d’amener fréquemment la personne à ses propres limites. Hormis le stress que cela implique, cette réalité vient souvent émousser la confiance en soi et peut aussi provoquer du découragement. Face à la surcharge sensorielle, la personne a potentiellement deux possibilités: soit elle développe des capacités de faire face (coping) et trouve une solution adaptée, soit elle subit l’instant et utilise des mécanismes d’urgence / de survie.

Effet de décalage dans la prise de conscience:
L’effort d’adaptation associé au risque de surcharge sensorielle peut provoquer un autre effet parfois problématique. En effet, comme c’est également le cas dans l’émotion du stress, cette association tend à provoquer un décalage entre l’état actuel de la personne et la prise de conscience de celui-ci par l’individu. C’est comme l’histoire de la grenouille que l’on plonge dans une casserole d’eau froide – si on monte très gentiment la température, la perception de la grenouille subit un décalage et celle-ci ne se rendra compte que trop tard, que l’eau est arrivée à ébullition. Dans le cas qui nous occupe, la présence de décalages peut engendrer plusieurs conséquences problématiques. Par exemple, ne pas percevoir à temps un état important de fatigue ou de stress peut induire des réactions brutales d’agressivité, d’angoisse ou de panique.

Le processus d’intégration du handicap (1):
Finalement, le dernier facteur influent sur l’individu concerné par un handicap sensoriel est celui de son degré d’intégration actuel du handicap dans sa propre vie. En effet, intégrer cette réalité de handicap est un véritable travail intra-psychique. Tout comme le processus de deuil, le processus d’intégration du handicap nécessite du temps et implique de franchir plusieurs étapes humaines et expérientielles. Ainsi, nous pouvons observer de grandes différences dans les comportements relationnels avec autrui selon que la personne se trouve plutôt au début, en cours en terminaison de ce processus.

ELEMENTS DE DYNAMIQUE DE COUPLES
Au risque de bousculer le lecteur, j’affirme le fait que deux personnes en couple vivant une réalité sensorielle différente implique forcément une situation asymétrique sur le plan relationnel. Cependant, cette différence n’est en aucun un problème insoluble. Par contre, la gestion de cette différence dans le temps et au quotidien va forcément impliquer un minutieux travail d’ajustement bilatéral.

La gestion du facteur de la dépendance:
A priori, aucun individu n’apprécie la situation de dépendance à autrui. Or, cette question se pose forcément dans la situation qui nous occupe. En tant que personne concernée, on peut aisément voiler à notre entourage social tout ou partie des besoins effectifs d’aide qui nous sont nécessaire et ainsi donner le change. Cependant, dans l’intimité du couple, plus rien ne peut être caché.

J’ai pu observer dans ma pratique que les couples négligent fréquemment d’aborder cette question avec profondeur. Souvent, les choses se font dans l’action du moment. « je vois qu’elle a besoin d’un coup de main, donc je l’aide et je ne me pose même pas la question ». « j’essaye de me débrouiller par moi-même mais quand je n’y arrive pas, je m’énerve ». Or, que ressent vraiment le conjoint aidant quant il est sollicité ? Que ressent vraiment le conjoint aidé quand il bénéficie de l’aide d’autrui ?

En thérapie, amener le focus et augmenter les prises de conscience et le dialogue ouvert sur ce point permet d’avancer avec efficacité. « je ne savais pas que tu ressentais de la honte quand tu devais me demander ça !», « quand je te dis que j’en ai marre de venir à ton secours, ce n’est pas contre toi mais parce je suis parfois épuisé ! ».

Des « jeux de rôles (2):
J’observe également dans la pratique que les conjoints sont susceptibles chacun de leur côté, d’entrer sans le vouloir ni en avoir vraiment conscience, dans des rôles pré-programmés. Du côté du conjoint aidant, nous pouvons par exemple rencontrer le proche aidant, le bienveillant, « l’autonomisant », le parent et, plus rarement, le dictateur. Du côté du conjoint aidé, nous pouvons par exemple rencontrer l’indépendant à tout prix, le bénéficiaire, le Calimero, l’enfant et, plus rarement l’amuseur ou la victime.

Sortir de ces caricatures permet aux deux conjoints de se re-découvrir et reprendre contact avec les forces et faiblesses réelles de chacun, selon leur caractère et leur personnalité propres.  

CONCLUSION
En conclusion de cet article, il convient de prendre conscience que même si la personne directement concernée est amenée à vivre un processus d’intégration du handicap, son conjoint y sera, et de son point de vue, également invité. De plus, dans ce couple asymétrique, il conviendra de résoudre une équation qui consistera à construire une symétrie réelle dans laquelle le conjoint aidé trouve des solutions de compensation lui permettant à sa manière et selon ses moyens de rendre l’appareil au conjoint aidé. Un tel objectif, si il est atteint, permet non seulement de restaurer avec force la relation de couple mais produit également une nette progression dans l’image de soi et dans l’estime mutuelle que se portent les deux conjoints.

(1) Pour plus d’information au sujet du processus d’intégration du handicap, vous pouvez lire du même auteur l’article intitulé « accepter, faire le deuil ou intégrer le handicap ? » 
(2) Dans ce paragraphe, je fais référence à des rôles que j’exprime au masculin. Ils s’appliquent également naturellement au féminin.

MOTS  CLES
Adaptation, compensation, confiance en soi, coping, couple, dépendance, énergie, épuisement, fatigue, handicap sensoriel, impact psychologique, intégration du handicap, prise de conscience, proche aidant, surcharge sensorielle, stress, temps

 

 

Vous pouvez également écouter l’émission de ON EN PARLE sur la RTS qui abordait la question en septembre 2019 : Comment tomber amoureux et surtout mener une vie de couple sur la durée quand lʹun des conjoints est touché par un handicap sensoriel? Au micro de Jérôme Zimmermann, Vincent Ducommun, psychologue clinicien et Romain Bertrand, en charge de la partie romande de l’étude SELODY.

 

A  P R O P O S  D E  L ‘ A U T E U R

Vincent Ducommun est psychologue clinicien, spécialiste en psychothérapie FSP et exerce au Mont-sur-Lausanne. De part sa clientèle, son expérience personnelle et professionnelle, il s’intéresse depuis de nombreuses années à la question du handicap. L’intérêt pour son modèle lui donne régulièrement l’occasion de rédiger des articles, d’intervenir dans des conférences et de donner des interviews.

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