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Si vous êtes directement concerné par un handicap ou si vous travaillez dans ce domaine, vous aurez alors souvent entendu parler du fait que la personne doit, pour évoluer dans son parcours personnel, accepter son handicap. Conjointement et pour ce faire, il est très souvent fait référence à la notion de deuil: faire le deuil de ce qui était possible, accessible, atteignable, envisageable avant et qui ne l’est plus maintenant.

Bien que cette approche ne soit pas dénuée de fondements sur un plan théorique, elle rencontre parfois dans la pratique bien des difficultés à se réaliser. Cet article a donc pour objectif de vous proposer un autre regard sur ce processus que la personne directement concernée est invitée à accomplir.

ACCEPTER, UNE UTOPIE ?
Dans son sens littéral, accepter signifie: “consentir à prendre, à recevoir; admettre” (1). Puis-je ainsi, en tant que personne, accepter mon handicap et ce qu’il implique dans ma vie quotidienne dans le présent ou pour mon avenir ?

En tant que psychologue, je vois personnellement trois difficultés dans cette démarche. La première est que la personne est en fait, dans ce cas, confrontée à un paradoxe qui consiste à devoir choisir entre deux options peu réjouissantes:

  • ne pas accepter le handicap et continuer à souffrir
  • accepter le handicap qui est par définition une “chose” non souhaitée pour soi / non souhaitable pour autrui.

N’ayant pas vraiment le choix, la personne aura de surcroît à résoudre par elle-même la question du “comment / par quel moyen accepter son handicap ?”. C’est en ceci que réside la seconde difficulté de l’acceptation puisque celle-ci ressemble plus à un état de fait qu’à un réel processus qui permettrait d’avancer vers un but à la fois réaliste et porteur d’espoir.

Enfin, la troisième difficulté inhérente à l’acceptation réside dans le fait que la société dont nous faisons partie envoie implicitement, et parfois même explicitement, le message suivant: “il faut bien accepter ce qui nous arrive”. Or, la personne confrontée à un handicap, surtout si celui-ci est apparu dans sa vie récemment, ressent justement des sentiments d’injustice et de révolte contre cette réalité inacceptable. Il en résulte fréquemment un sentiment bien légitime d’être incompris par les autres qui se manifeste notamment par des réactions de type “de toute façon, vous ne pouvez pas comprendre”.

LE DEUIL, D’ACCORD MAIS QU’EST-CE QUE C’EST ET QU’EST-CE QUE CELA IMPLIQUE ?
Communément, la notion de deuil fait référence à l’expérience de la perte, de quelque chose ou quelqu’un. Ces temps-ci par exemple, beaucoup de salariés peuvent d’ores et déjà faire leur deuil de leur prochaine augmentation. Mais plus sérieusement, le deuil fait le plus souvent référence à la disparition d’un être aimé.

En effet, en psychologie, le deuil est définit comme un “état de perte d’un être cher s’accompagnant de détresse et de douleur morale pouvant entraîner une véritable réaction dépressive et nécessitant un travail intrapsychique.” Grand dictionnaire de la psychologie, Larousse, 2001

En pratique, cela consiste pour la personne faisant le travail de deuil à franchir, selon son rythmes et ses capacités, trois étapes essentielles:

  • étape de détresse (inhérent au choc de l’événement)
  • étape de dépression (inhérent aux conséquences de l’événement)
  • étape d’adaptation (conduisant à la fin du travail de deuil)

La notion de deuil amène plusieurs points importants à notre réflexion. Elle fait tout d’abord référence à la notion de perte, mettant ainsi en valeur la reconnaissance de la souffrance, de la douleur issue de l’expérience. Elle démontre également la nécessité pour la personne de faire un travail intérieur qui lui permettra de dépasser l’élément pénible qui est survenu dans sa vie. Elle décrit enfin plusieurs phases qu’il est nécessaire de franchir pour pouvoir revivre pleinement. Elle n’est en revanche pas tout à fait adaptée à la question qui nous intéresse puisque le handicap n’implique aucunement la mort de quelqu’un. L’expérience du handicap se différencie également de par le fait que, contrairement au deuil, la personne conserve toujours le potentiel de s’adapter progressivement et même, d’en tirer force et expérience personnelle.

LE PROCESSUS D’INTEGRATION DU HANDICAP
J’ai voulu créer un modèle qui soit plus proche du vécu réel des personnes confrontées à ce problème et, par là même, décrire avec plus de précision le processus effectif permettant d’intégrer progressivement la réalité du handicap.

“La notion même d’intégration est très importante car elle remet en quelque sorte le handicap à sa place. Intégrer consiste, dans son sens littéral, à faire entrer quelque chose dans un ensemble plus vaste; inclure, incorporer (2). En ce sens, l’élément à intégrer – le handicap – le sera dans cet ensemble complexe qu’est la personne elle-même, tenant compte de son histoire et de ses aspirations passées, présentes et à venir”. Vincent Ducommun

Attendu que chacun est différent de par son éducation, sa culture, son parcours personnel, … le processus d’intégration du handicap prendra, pour s’accomplir, plus ou moins de temps selon les cas. Tout comme le travail de deuil, il se compose de plusieurs phases et peut s’interrompre, se bloquer, marquer des retours en arrière. Il débute au moment où la personne se trouve confrontée brusquement au handicap (situations acquises) / au moment où la personne en prend réellement conscience (situations congénitales) et s’achève dès le moment où l’individu retrouve une situation d’équilibre personnel et psychologique.

La phase de crise:
C’est une étape de confusion où se mêlent beaucoup d’éléments émotionnels différents et de forte intensité. L’identité est en crise, ce qui implique une remise en question personnelle importante. L’estime de soi est fortement perturbée, ce qui peut impliquer un changement significatif dans les relations avec autrui (position conflictuelle). Le handicap est, quant à lui, vécu comme une intrusion insupportable.

La phase d’opposition:
C’est la phase où les sentiments de colère, de rage et la sensation d’injustice sont prédominants. La personne se rebelle contre ce qui lui arrive, attribue parfois clairement à l’extérieur les causes et les conséquences du handicap (recherche d’un bouc-émissaire). Le handicap est repoussé avec une grande énergie à l’extérieur (phase de déni, de dénégation, de clivage, …).

La phase de repli – retrait:
C’est la phase où les sentiments de tristesse, de souffrance psychologique sont au premier plan. Cela fait référence au sentiment d’impuissance que l’on peut ressentir face au handicap et à son évolution potentielle. Le handicap est, cette fois-ci, vécu comme faisant partie intégrante, voir même, déborde dans la vie de la personne, par ex: « je ne suis plus une personne mais juste un handicapé ».

La phase d’intégration:
C’est la phase où l’activité dans le présent permet d’être à nouveau vécue avec un certain plaisir, où la liberté d’action et d’expression retrouve créativité et souplesse. Une meilleure prise de distance par rapport au handicap est possible: il n’est plus vécu comme un élément extérieur à repousser ni comme un élément venant déborder l’identité mais comme un élément faisant partie intégrante de l’identité.

La phase de résilience:
A ce stade, on peut d’ores et déjà considérer le processus d’intégration du handicap comme achevé. Cependant, Boris Cyrulnik, psychiatre français a développé dans un contexte tout à fait différent un concept très intéressant, nommé “résilience” qui consiste à acquérir non seulement les capacités permettant de pouvoir dépasser une épreuve difficile mais également d’en tirer expérience, force et profit.

* * *

Il y aurait évidemment encore beaucoup de choses à dire sur ce thème très riche qu’est le processus d’intégration du handicap. Tout en espérant avoir été clair et compréhensible dans mes propos, je voudrais, pour conclure cet article, partager avec vous deux réflexions. La première est qu’il est tout à fait normal, dans le cadre de ce processus, de vivre ces changements de position et de points de vue, ces bouleversements émotionnels. Pouvoir les exprimer, les partager avec autrui permet progressivement de franchir ces différentes étapes, même si cela n’est pas si habituel dans le cadre de notre société et de notre culture. Ma seconde réflexion porte sur la notion d’espoir. Très souvent, celle-ci est mise en lien avec l’espérance bien légitime d’une rémission, d’une amélioration du problème visuel. Or, cette aspiration est très souvent déçue par les événements. En revanche, comme le montre ce modèle, un espoir réel et toujours possible existe de progresser personnellement vers une autonomie personnelle pouvant mettre en valeur des capacités et ressources insoupçonnées jusqu’alors et qui intègre la réalité du handicap.

(1) Définition issue du dictionnaire Petit Larousse illustré, 2012
(2) idem que (1)

A  P R O P O S  D E  L ‘ A U T E U R

Vincent Ducommun est psychologue clinicien, spécialiste en psychothérapie FSP et exerce au Mont-sur-Lausanne. De part sa clientèle, son expérience personnelle et professionnelle, il s’intéresse depuis de nombreuses années à la question du handicap. L’intérêt pour son modèle lui donne régulièrement l’occasion de rédiger des articles, d’intervenir dans des conférences et de donner des interviews.

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